C'est comme si les pires événements de son roman Mon nom est Rouge étaient sur le point d'arriver : je retrouve, dans les menaces des ultranationalistes adressées à Pamuk, la même violence que celle qui pousse l'un des peintres à assassiner ses confrères, parce qu'il refuse que son art subisse l'influence néfaste de l'Occident.
Mais l'assassin de Mon nom est Rouge n'a pas seul la parole dans ce roman polyphonique : au tout début, c'est sa première victime qui s'exprime. "Maintenant, je suis un cadavre, un mort au fond d'un puits." L'assassin ("On m'appellera l'Assassin", disent les titres de chapitres) se déguise admirablement bien dans ce roman à suspense. J'ai longtemps hésité entre les trois peintres élèves de l'Oncle, Cigogne, Papillon et Olive ; les pistes sont bien brouillées. L'assassinat de l'Oncle arrive de manière à la fois inattendue et nécessaire, et l'étau ne se resserre véritablement qu'à la fin sur le coupable, assailli par les deux autres peintres et Le Noir. Je trouve qu'il faut bien du talent pour raconter du point de vue même du mourant le passage de vie à trépas: "L'ennui et la souffrance que j'ai brusquement pressentis de cette interminable attente m'ont fait souhaiter d'en finir, de passer hors du temps." La mort en devient presque familière, en conservant cependant toute son horreur. L'image du repos éternel, pourtant topique, paraît neuve sous la plume de Pamuk.
Lorsque Shékuré reprend la parole à la fin du roman, elle souligne la contradiction entre un art qui permettrait d'arrêter le temps mais qui ne reproduirait pas la réalité, et un art qui reproduirait cette réalité mais qui de ce fait reproduirait aussi les indices du vieillissement, du caractère éphémère de ses modèles. Son fils Orhan lui explique alors: "Les gens aspirent au bonheur dans la vie, plutôt qu'à des sourires béats sur de belles images " - que c'est là la limite de l'art pictural. Que dire du roman ? La polyphonie et la profusion d'images extraordinaire de Mon nom est Rouge démontrerait bien une supériorité de la littérature en la matière : une plus grande aptitude à capter le mouvement du temps et des êtres dans le temps. On ne peut que regretter que les nationalistes qui en veulent à Pamuk et qui promeuvent une conception passéiste de la Turquie, l'aient poussé à l'exil, ce mouvement qui ne va pas dans le bon sens.
Mais l'assassin de Mon nom est Rouge n'a pas seul la parole dans ce roman polyphonique : au tout début, c'est sa première victime qui s'exprime. "Maintenant, je suis un cadavre, un mort au fond d'un puits." L'assassin ("On m'appellera l'Assassin", disent les titres de chapitres) se déguise admirablement bien dans ce roman à suspense. J'ai longtemps hésité entre les trois peintres élèves de l'Oncle, Cigogne, Papillon et Olive ; les pistes sont bien brouillées. L'assassinat de l'Oncle arrive de manière à la fois inattendue et nécessaire, et l'étau ne se resserre véritablement qu'à la fin sur le coupable, assailli par les deux autres peintres et Le Noir. Je trouve qu'il faut bien du talent pour raconter du point de vue même du mourant le passage de vie à trépas: "L'ennui et la souffrance que j'ai brusquement pressentis de cette interminable attente m'ont fait souhaiter d'en finir, de passer hors du temps." La mort en devient presque familière, en conservant cependant toute son horreur. L'image du repos éternel, pourtant topique, paraît neuve sous la plume de Pamuk.
Lorsque Shékuré reprend la parole à la fin du roman, elle souligne la contradiction entre un art qui permettrait d'arrêter le temps mais qui ne reproduirait pas la réalité, et un art qui reproduirait cette réalité mais qui de ce fait reproduirait aussi les indices du vieillissement, du caractère éphémère de ses modèles. Son fils Orhan lui explique alors: "Les gens aspirent au bonheur dans la vie, plutôt qu'à des sourires béats sur de belles images " - que c'est là la limite de l'art pictural. Que dire du roman ? La polyphonie et la profusion d'images extraordinaire de Mon nom est Rouge démontrerait bien une supériorité de la littérature en la matière : une plus grande aptitude à capter le mouvement du temps et des êtres dans le temps. On ne peut que regretter que les nationalistes qui en veulent à Pamuk et qui promeuvent une conception passéiste de la Turquie, l'aient poussé à l'exil, ce mouvement qui ne va pas dans le bon sens.
1 commentaire:
Chère Arabie, j'ai moi aussi bien aimé la réflexion sur l'art dans ce roman, parce que tout en connaissant la question posée, je me suis à nouveau interrogé sur le bien fondé du réalisme que Pamuk dit occidental. Mais en fait le débat n'est pas là: l'art oriental reflète une conception immobiliste de la société et de ses valeurs, là où l'artiste d'occident accompagne un mouvement qui transforme les modes de vie et de pensée.
Enregistrer un commentaire