Je dois avouer que je ne m'attendais pas à cette fin, même si, pendant toute ma lecture, je me suis demandée quel événement précis allait justifier le titre du roman. Au moment où Sophie s'enfuit rejoindre les Rouges, où Eric pense qu'elle est peut-être morte, je me suis dit que c'était peut-être là le coup de grâce; mais l'absence d'émotion d'Eric à ce moment-là me faisait douter. Il parle certes du sentiment de vide que crée le départ de Sophie, mais il est comme au-delà, pris dans un sentiment de danger permanent, qui est aussi une excitation dans le sens positif du terme.
C'est aussi par contraste avec ce détachement heureux que le choc de retrouver Sophie parmi leurs prisonniers est si intense. Et c'est ce même contraste qui rend la revanche de Sophie si complète et si éclatante. Au moment même où elle n'apparaît plus à Eric que "comme une femme quittée en pleine rue (qui) perd son individualité à mesure qu'elle s'éloigne", elle fait une dernière apparition dans sa vie pour graver à jamais son image dans la conscience coupable d'Eric. Pour moi, c'est tout à la fin du roman que Sophie, ce personnage dont je n'arrivais pas bien à distinguer les contours jusque-là, a pris définitivement forme humaine, et forme féminine.
La dernière scène est très belle. Eric, dont l'indécision et ce qu'on pourrait interpréter comme un manque de coeur a fait le malheur de celle qui l'aimait, connaît à son tour les tourments de l'amant rejeté. Yourcenar décrit admirablement les sentiments mêlés d'Eric lorsqu'il s'avance vers Sophie pour l'exécuter: l'attirance pour ce corps de femme, la tendresse que ce corps lui inspire ; le regret immense de voir finir cette existence inachevée ; la conscience douloureuse que Sophie est déjà morte, d'une certaine façon. De toute façon, à partir du moment où Eric, après l'avoir embrassée, l'avait rejetée, Sophie m'avait fait l'effet d'une mort-vivante. La fin du roman la ressuscite pour mieux la faire mourir, mais d'une mort qui lui permet d'exister plus durablement.
Les dernières phrases sont percutantes, très nettement dessinées; un peu trop définitives, peut-être. En rangeant Sophie parmi une certaine catégorie de femmes, pas très bien définie d'ailleurs, le personnage masculin laisse transparaître un peu de rancune peut-être, d'amertume certainement, ce qui montre l'efficacité de la vengeance de Sophie. Et l'on comprend alors que c'est aussi à Eric que le coup de grâce a été porté. Me reportant rétrospectivement aux pages du début, j'ai mieux compris le sens du portrait d'Eric à quarante ans : un homme marqué à vie. A cet égard, j'admire beaucoup la construction du récit.
Je crois que finalement j'ai beaucoup aimé Le coup de grâce. Je crois aussi que je vais le relire pour mieux comprendre Sophie. Je me demande si nous n'avons pas quelques points communs. Le premier sentiment qu'elle m'a inspiré - je m'en souviens bien - était de la répugnance et une immense pitié. A présent, je n'irais pas jusqu'à dire que je l'admire, mais je reconnais et je partage certaines de ses souffrances. Si je reste sur l'impression d'un roman très noir, je reconnais tout de même la part de lumière qui est due à Sophie, même si c'est une lumière vacillante.
C'est aussi par contraste avec ce détachement heureux que le choc de retrouver Sophie parmi leurs prisonniers est si intense. Et c'est ce même contraste qui rend la revanche de Sophie si complète et si éclatante. Au moment même où elle n'apparaît plus à Eric que "comme une femme quittée en pleine rue (qui) perd son individualité à mesure qu'elle s'éloigne", elle fait une dernière apparition dans sa vie pour graver à jamais son image dans la conscience coupable d'Eric. Pour moi, c'est tout à la fin du roman que Sophie, ce personnage dont je n'arrivais pas bien à distinguer les contours jusque-là, a pris définitivement forme humaine, et forme féminine.
La dernière scène est très belle. Eric, dont l'indécision et ce qu'on pourrait interpréter comme un manque de coeur a fait le malheur de celle qui l'aimait, connaît à son tour les tourments de l'amant rejeté. Yourcenar décrit admirablement les sentiments mêlés d'Eric lorsqu'il s'avance vers Sophie pour l'exécuter: l'attirance pour ce corps de femme, la tendresse que ce corps lui inspire ; le regret immense de voir finir cette existence inachevée ; la conscience douloureuse que Sophie est déjà morte, d'une certaine façon. De toute façon, à partir du moment où Eric, après l'avoir embrassée, l'avait rejetée, Sophie m'avait fait l'effet d'une mort-vivante. La fin du roman la ressuscite pour mieux la faire mourir, mais d'une mort qui lui permet d'exister plus durablement.
Les dernières phrases sont percutantes, très nettement dessinées; un peu trop définitives, peut-être. En rangeant Sophie parmi une certaine catégorie de femmes, pas très bien définie d'ailleurs, le personnage masculin laisse transparaître un peu de rancune peut-être, d'amertume certainement, ce qui montre l'efficacité de la vengeance de Sophie. Et l'on comprend alors que c'est aussi à Eric que le coup de grâce a été porté. Me reportant rétrospectivement aux pages du début, j'ai mieux compris le sens du portrait d'Eric à quarante ans : un homme marqué à vie. A cet égard, j'admire beaucoup la construction du récit.
Je crois que finalement j'ai beaucoup aimé Le coup de grâce. Je crois aussi que je vais le relire pour mieux comprendre Sophie. Je me demande si nous n'avons pas quelques points communs. Le premier sentiment qu'elle m'a inspiré - je m'en souviens bien - était de la répugnance et une immense pitié. A présent, je n'irais pas jusqu'à dire que je l'admire, mais je reconnais et je partage certaines de ses souffrances. Si je reste sur l'impression d'un roman très noir, je reconnais tout de même la part de lumière qui est due à Sophie, même si c'est une lumière vacillante.
1 commentaire:
Chère Arabie, il ne pouvait en être autrement: Sophie est definitivement admirable tandis que Eric von Lhomond ne peut qu'agacer avec ses doutes d'homosexuel. Et son choix de combattre auprès des insurgés franquistes l'accable, même s'il y a une part suicidaire dans ce choix. Je ne le méprise pas pour autant, mais c'est un homme de mauvaise foi. L'intransigeance féminine ne pouvait pas ne pas l'embêter. Sa montre de mauvais goût le sauve un peu.
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