dimanche 20 avril 2008

Le quatuor Modigliani au musée d'Orsay

Le quatuor Modigliani a fait sensation hier matin, à l'auditorium du musée d'Orsay, à l'occasion des week-ends portes ouvertes de Radio-France ("Beethoven à Paris"). Une aubaine pour les mélomanes désargentés : l'entrée était libre et gratuite, à condition de venir assez tôt pour avoir sa place et de patienter une petite heure à la porte. Je ne me rappelle plus à quand remonte ma dernière audition d'un quatuor en concert (ce dont je ne me fais pas gloire), mais les Modigliani réconcilieraient tous les réfractaires avec ce genre comme avec la musique de chambre en général. Un très beau programme (Fauré et Ravel, le maître et l'élève, bien que Ravel ait écrit son quatuor vingt ans avant Fauré, qui a attendu la fin de sa carrière en 1924), quoique j'avais un peu peur de m'ennuyer, parce que je connaissais déjà les oeuvres dans d'excellentes versions. Mais j'ai presque envie de dire que rien ne vaut le "direct" quand on peut écouter un quatuor comme celui qui s'est produit hier. Comme je vais finalement assez peu au concert, je suis toujours frappée par tout ce qui touche à la présence concrète d'interprètes à quelques mètres de moi : la perception d'un son qui semble toujours plus chaud, plus vivant, plus émouvant; parfois le bruit des doigts de la main gauche sur la touche, ou le frottement de l'archet sur les cordes; et surtout, dans le cas des Modigliani, l'aspect visuel, le spectacle proprement dit. Le premier violon, tout à son interprétation, ne contrôlait pas son visage, sur lequel on a pu voir défiler les diverses passions qu'il rendait par ailleurs admirablement dans son jeu. Ces grimaces auraient pu être gênantes, mais c'est sans doute une preuve du talent de ce quatuor que de parvenir à les faire oublier en créant en quelques mesures une atmosphère dans laquelle on n'a plus qu'à se laisser bercer par la chaude homogénéité du son, et où les grimaces semblent naturelles et deviennent presque un gage de sincérité. C'est aussi un peu le rôle du premier violon que de s'exposer un peu plus que les autres membres de l'ensemble. Par contraste, le discret deuxième violon, qui est même allé chercher en coulisse la sourdine que le premier violon avait oubliée, avait des allures de tout jeune homme, une certaine timidité, quoique son jeu la démente parfois, surtout dans le quatuor de Ravel où sa partie semble aussi difficile et exposée que celle du premier violon. Le violoncelliste, placé en face du premier violon, reproduisait parfois ses mimiques, comme en miroir. L'altiste mettait beaucoup de convictions dans ses passages solo. Ce qui m'a semblé beau, c'est de voir à l'oeuvre la passion de la musique chez ces jeunes interprètes; passion que je partage, mais dont je suis heureuse de voir que certains peuvent en vivre.
Allez voir le site de ce beau quatuor.

mardi 1 janvier 2008

L'amour au temps du choléra

La critique n'est pas aisée, parce que je n'ai pas lu le roman ; et pourtant, mes autres lectures de Garcia Marquez me font deviner la difficulté d'adapter au cinéma un auteur aussi monumental et de si grandes fresques romanesques (je ne sais pas si on s'est déjà risqué à adapter Cent ans de solitude) qui s'étendent souvent sur plusieurs générations, posant un problème simple mais jamais vraiment résolu : comment représenter le même personnage à vingt ans et à soixante-dix ? Je n'aime pas voir travestir en vieillards des acteurs jeunes, dont la jeunesse rayonne malgré tous les artifices, le maquillage, la perruque grise. La très belle Giovanna Mezzogiorno (Fermina) n'est pas très crédible en vieille dame, ce qui m'a gâché la fin du film. En revanche, le personnage de Florentino est joué successivement par deux acteurs ; à partir de trente ans environ, c'est Javier Bardem qui l'incarne, et qui, lui, passe beaucoup mieux en vieillard amoureux.
Mais ces détails auraient été secondaires si j'avais vraiment aimé dans le film. La naïveté (la bêtise?) du jeune Florentino m'a gênée au début, j'ai failli quitter la salle de peur de m'ennuyer devant cette histoire sirupeuse d'amour contrarié. Je me demande si Garcia Marquez a autant caricaturé ses personnages, s'il a autant forcé le trait (notamment pour le père de Fermina, marchand brutal et inculte, au sourire sadique). J'ai détesté Florentino, un peu à cause de Javier Bardem, que j'avais vu dans un rôle peu flatteur (dans Les fantômes de Goya : prêtre lubrique, puis vil opportuniste sous la révolution puis l'Empire); de plus, on ne sait que penser de ce personnage qui jure un amour éternel à Fermina à vingt ans puis qui passe sa vie à coucher avec d'autres femmes, parce que c'est le seul remède à sa douleur : il inspire au mieux de la pitié. Le mari de Fermina, Juvenal (joué par le très séduisant Benjamin Bratt) est plus nuancé et plus intéressant : il a ses défauts (il vit dans les jupes de sa mère, il trompe sa femme), mais il aime sincèrement Fermina, qui estime à sa mort qu'il a été un bon mari. C'est encore le personnage de Fermina qui, pour moi, s'en sort le mieux et sauve le film : femme belle, intelligente et forte qui estime les autres personnages à leur juste valeur et qui rend finalement hommage à Florentino, malgré ses ridicules, pour sa fidélité de coeur tout au long de leur vie.