
Le quatuor Modigliani a fait sensation hier matin, à l'auditorium du musée d'Orsay, à l'occasion des week-ends portes ouvertes de Radio-France ("Beethoven à Paris"). Une aubaine pour les mélomanes désargentés : l'entrée était libre et gratuite, à condition de venir assez tôt pour avoir sa place et de patienter une petite heure à la porte. Je ne me rappelle plus à quand remonte ma dernière audition d'un quatuor en concert (ce dont je ne me fais pas gloire), mais les Modigliani réconcilieraient tous les réfractaires avec ce genre comme avec la musique de chambre en général. Un très beau programme (Fauré et Ravel, le maître et l'élève, bien que Ravel ait écrit son quatuor vingt ans avant Fauré, qui a attendu la fin de sa carrière en 1924), quoique j'avais un peu peur de m'ennuyer, parce que je connaissais déjà les oeuvres dans d'excellentes versions. Mais j'ai presque envie de dire que rien ne vaut le "direct" quand on peut écouter un quatuor comme celui qui s'est produit hier. Comme je vais finalement assez peu au concert, je suis toujours frappée par tout ce qui touche à la présence concrète d'interprètes à quelques mètres de moi : la perception d'un son qui semble toujours plus chaud, plus vivant, plus émouvant; parfois le bruit des doigts de la main gauche sur la touche, ou le frottement de l'archet sur les cordes; et surtout, dans le cas des Modigliani, l'aspect visuel, le spectacle proprement dit. Le premier violon, tout à son interprétation, ne contrôlait pas son visage, sur lequel on a pu voir défiler les diverses passions qu'il rendait par ailleurs admirablement dans son jeu. Ces grimaces auraient pu être gênantes, mais c'est sans doute une preuve du talent de ce quatuor que de parvenir à les faire oublier en créant en quelques mesures une atmosphère dans laquelle on n'a plus qu'à se laisser bercer par la chaude homogénéité du son, et où les grimaces semblent naturelles et deviennent presque un gage de sincérité. C'est aussi un peu le rôle du premier violon que de s'exposer un peu plus que les autres membres de l'ensemble. Par contraste, le discret deuxième violon, qui est même allé chercher en coulisse la sourdine que le premier violon avait oubliée, avait des allures de tout jeune homme, une certaine timidité, quoique son jeu la démente parfois, surtout dans le quatuor de Ravel où sa partie semble aussi difficile et exposée que celle du premier violon. Le violoncelliste, placé en face du premier violon, reproduisait parfois ses mimiques, comme en miroir. L'altiste mettait beaucoup de convictions dans ses passages solo. Ce qui m'a semblé beau, c'est de voir à l'oeuvre la passion de la musique chez ces jeunes interprètes; passion que je partage, mais dont je suis heureuse de voir que certains peuvent en vivre.
Allez voir le site de ce beau quatuor.