
Peut-être est-il nécessaire de recourir à ces effets de structure pour faire un bon film, un film qu'on pourrait dire classique en prenant beaucoup de précautions. Il faut reconnaître aussi l'excellence des deux acteurs, Colin Farell (loin du pitoyable Alexandre le Grand) et Ewan McGregor (sans la barbe d'Hobiwan Kenobi). Mais c'est dans un décalage subtil entre l'attente du spectateur face à une intrigue si claire et le traitement qu'en fait Woody Allen que me semble résider l'intérêt du film : une certaine distance par rapport aux personnages est sensible par exemple dès l'apparition du fameux oncle d'Amérique, qui n'est pas le personnage débonnaire et décomplexé auquel on aurait pu s'attendre (décalage préparé par l'antipathie affichée de son beau-frère); le fils aîné, Ian (McGregor), sympathique au début, est mis à distance à mesure qu'il se transforme en arriviste dénué de scrupules, tandis que son frère Terry, de caractère plus faible, prend davantage de relief et devient le véritable porteur du sens moral. Le retournement n'est pas si attendu. Si l'on est plus enclin à suivre Ian au début, qui semble avoir les pieds sur terre, c'est finalement Terry qui, par ses souffrances morales, montre où est le réel en s'opposant aux rêves fous de Ian. De ce fait, on a l'impression rétrospective que toute l'histoire s'est déroulée sur un plan d'irréalité qui explique la perfection de la structure narrative : c'était trop bien construit pour être vrai; le pacte proposé par l'oncle était trop simple pour fonctionner. Seule la fin, avec sa confusion (l'intervention des enquêteurs qui en savent pas bien ce qui s'est passé sur le bateau), nous remet les pieds sur terre.