samedi 17 novembre 2007

Le rêve de Cassandre

Objectivement, c'est un excellent film. Je ne m'avancerai pas sur un terrain que je connais mal, celui de l'analyse filmique pourtant si à la mode dans l'enseignement et même à l'université. Je ne peux que faire confiance à ceux qui disent qu'il est bien filmé (je crois juste que s'il ne l'était pas, je l'aurais senti). Pourtant, quelque chose me met mal à l'aise dans Le rêve de Cassandre. Trop facile peut-être, le schéma des deux frères qui ont des projets d'avenir, qui demandent de l'argent à leur richissime oncle lequel leur demande de commettre un meurtre en échange (le fameux pacte avec le diable). Evidente aussi, la répercussion du meurtre sur les deux frères, dont l'un surmonte très bien ce traumatisme et dont l'autre ne s'en remet pas (Abel et Caïn ?). Enfin, le rôle symbolique du bateau acheté par les deux frères, lieu dont tout est parti et lieu où tout finit en un dénouement radical (boucle bouclée). Quelqu'un a ricané dans la salle à la fin du film, quand l'image s'est arrêtée sur le Cassandra's dream. Il y avait quelque chose de schématique aussi dans la rencontre des deux personnages féminins, si différents mais qui vont finalement faire du shopping ensemble (!), au moment où les deux frères sont irrémédiablement séparés, avant d'être réunis dans une même fin tragique. Mon impression globale est comparable à celle d'être face à un tableau de maître dont toutes les lignes de fuite auraient été repassées au marqueur noir.
Peut-être est-il nécessaire de recourir à ces effets de structure pour faire un bon film, un film qu'on pourrait dire classique en prenant beaucoup de précautions. Il faut reconnaître aussi l'excellence des deux acteurs, Colin Farell (loin du pitoyable Alexandre le Grand) et Ewan McGregor (sans la barbe d'Hobiwan Kenobi). Mais c'est dans un décalage subtil entre l'attente du spectateur face à une intrigue si claire et le traitement qu'en fait Woody Allen que me semble résider l'intérêt du film : une certaine distance par rapport aux personnages est sensible par exemple dès l'apparition du fameux oncle d'Amérique, qui n'est pas le personnage débonnaire et décomplexé auquel on aurait pu s'attendre (décalage préparé par l'antipathie affichée de son beau-frère); le fils aîné, Ian (McGregor), sympathique au début, est mis à distance à mesure qu'il se transforme en arriviste dénué de scrupules, tandis que son frère Terry, de caractère plus faible, prend davantage de relief et devient le véritable porteur du sens moral. Le retournement n'est pas si attendu. Si l'on est plus enclin à suivre Ian au début, qui semble avoir les pieds sur terre, c'est finalement Terry qui, par ses souffrances morales, montre où est le réel en s'opposant aux rêves fous de Ian. De ce fait, on a l'impression rétrospective que toute l'histoire s'est déroulée sur un plan d'irréalité qui explique la perfection de la structure narrative : c'était trop bien construit pour être vrai; le pacte proposé par l'oncle était trop simple pour fonctionner. Seule la fin, avec sa confusion (l'intervention des enquêteurs qui en savent pas bien ce qui s'est passé sur le bateau), nous remet les pieds sur terre.