Balzac est terriblement moral dans La Cousine Bette. Il faut voir quel destin il réserve à la sulfureuse Madame Marneffe. S'il adopte pendant un temps le point de vue du baron Hulot et qu'il feint de s'émerveiller des perfections de cette dame, ce n'est que pour mieux les condamner tous les deux - et surtout, condamner Madame Marneffe (le baron Hulot est sauvé, dans le jugement du lecteur, par l'amour inconditionnel que lui porte sa vertueuse épouse Adeline).
La critique de Madame Marneffe s'appuie sur la différence faite par Balzac entre deux types de femmes qui vivent de leurs charmes : les courtisanes, les vraies, celles qui dépensent des fortunes, qui ruinent les plus riches, qui vivent dans un luxe insensé ; et les petites bourgeoises, qui se fixent pour but de faire avancer la carrière de leur mari, en s'acoquinant avec leurs supérieurs. Il est évident que Balzac préfère les premières : les courtisanes - les Josépha et les Esther. Cette préférence, je me l'explique ainsi : il y a chez les courtisanes une grande franchise. Lorsqu'un homme se lie à l'une de ces créatures, il sait à quoi s'attendre. Il a la main sur le porte-monnaie. D'ailleurs, cela fait partie du plaisir de ces liaisons que de céder aux caprices, de soutenir financièrement les extravagances de cettes femmes brillantes, qui sont aussi des artistes à leur manière. Du reste, les courtisanes peuvent éprouver de grandes passions, aussi belles que celles des femmes vertueuses, comme Adeline Hulot; dans Illusions perdues, Esther se perdra pour Lucien.
Au contraire, les petites bourgeoises - Madame Marneffe en tête - sont des hypocrites. Mariées, elles tiennent à conserver leur réputation d'honnêteté. Adultères, elles jouent en plus sur plusieurs tableaux: il leur faut un payeur, un amant de coeur, et éventuellement un autre payeur sous le coude pour le cas où le premier serait à court de fonds. Valérie Marneffe séduit le baron Hulot (premier payeur), s'amourache de Venceslas, qui n'est pour elle qu'un caprice (et un moyen d'assurer la vengeance de Bette) et s'assure les sentiments de Crevel, qu'elle finira par épouser à la mort de son premier mari. Les courtisanes sont plus franches dans le sens où il est de notoriété publique qu'elles ont besoin d'un payeur, et c'est un titre de gloire pour les hommes qui se laissent ainsi attacher que d'être l'amant d'une femme célébrée et courtisée. Dans l'ombre, les petites bourgeoises sont de petites vertus ; au sommet de la société, les courtisanes sont généreuses, parce qu'elles se doutent peut-être que leur succès n'est qu'éphémère et qu'elles ont aussi souvent l'expérience de la pauvreté : elles sont nées pauvres. Elles sont naturellement compatissantes. Josépha, l'ex-maîtresse du baron Hulot, aidera la baronne à retrouver son mari ; ces deux vertus s'allieront.
A l'opposé, Madame Marneffe s'enferre dans ses liaisons compliquées, provoque le malheur de toute une famille, détruit les couples - et finit défigurée. Une scène nous la montre recevant successivement ses trois amants, trouvant à chaque fois des excuses pour expliquer la présence de l'amant précédent, ou alors essayant de le cacher, comme dans une mauvaise comédie.
Derrière la critique de Valérie, c'est pourtant la faiblesse des hommes que vise Balzac. Voilà deux hommes, le baron Hulot et Wenceslas, heureux en ménage, mariés à des femmes qui ont pour elles la beauté, la douceur, la patience et la vertu, et qui malgré tout sont irrésistiblement attirés par la petite bourgeoise faussement vertueuse et faussement douce, dont ils soupçonnent pourtant la fausseté. Balzac écrit à leur charge :
"La femme dédaigneuse, une femme dangereuse surtout, irrite la curiosité, comme les épices relèvent la bonne chère. Le mépris, si bien joué par Valérie, était d'ailleurs une nouveauté pour Venceslas, après trois ans de plaisirs faciles. Hortense fut la femme et Valérie fut la maîtresse. Beaucoup d'hommes veulent avoir ces deux éditions du même ouvrage, quoique ce soit une immense preuve d'infériorité chez un homme que de ne pas savoir faire de sa femme sa maîtresse. La variété dans ce genre est un signe d'impuissance. La constance sera toujours le génie de l'amour, l'indice d'une force immense, celle qui constitue le poète ! On doit avoir toutes les femmes dans la sienne, comme les poètes crottés du XVIIe siècle faisaient de leurs Manons des Iris et des Chloés !"
La critique de Madame Marneffe s'appuie sur la différence faite par Balzac entre deux types de femmes qui vivent de leurs charmes : les courtisanes, les vraies, celles qui dépensent des fortunes, qui ruinent les plus riches, qui vivent dans un luxe insensé ; et les petites bourgeoises, qui se fixent pour but de faire avancer la carrière de leur mari, en s'acoquinant avec leurs supérieurs. Il est évident que Balzac préfère les premières : les courtisanes - les Josépha et les Esther. Cette préférence, je me l'explique ainsi : il y a chez les courtisanes une grande franchise. Lorsqu'un homme se lie à l'une de ces créatures, il sait à quoi s'attendre. Il a la main sur le porte-monnaie. D'ailleurs, cela fait partie du plaisir de ces liaisons que de céder aux caprices, de soutenir financièrement les extravagances de cettes femmes brillantes, qui sont aussi des artistes à leur manière. Du reste, les courtisanes peuvent éprouver de grandes passions, aussi belles que celles des femmes vertueuses, comme Adeline Hulot; dans Illusions perdues, Esther se perdra pour Lucien.
Au contraire, les petites bourgeoises - Madame Marneffe en tête - sont des hypocrites. Mariées, elles tiennent à conserver leur réputation d'honnêteté. Adultères, elles jouent en plus sur plusieurs tableaux: il leur faut un payeur, un amant de coeur, et éventuellement un autre payeur sous le coude pour le cas où le premier serait à court de fonds. Valérie Marneffe séduit le baron Hulot (premier payeur), s'amourache de Venceslas, qui n'est pour elle qu'un caprice (et un moyen d'assurer la vengeance de Bette) et s'assure les sentiments de Crevel, qu'elle finira par épouser à la mort de son premier mari. Les courtisanes sont plus franches dans le sens où il est de notoriété publique qu'elles ont besoin d'un payeur, et c'est un titre de gloire pour les hommes qui se laissent ainsi attacher que d'être l'amant d'une femme célébrée et courtisée. Dans l'ombre, les petites bourgeoises sont de petites vertus ; au sommet de la société, les courtisanes sont généreuses, parce qu'elles se doutent peut-être que leur succès n'est qu'éphémère et qu'elles ont aussi souvent l'expérience de la pauvreté : elles sont nées pauvres. Elles sont naturellement compatissantes. Josépha, l'ex-maîtresse du baron Hulot, aidera la baronne à retrouver son mari ; ces deux vertus s'allieront.
A l'opposé, Madame Marneffe s'enferre dans ses liaisons compliquées, provoque le malheur de toute une famille, détruit les couples - et finit défigurée. Une scène nous la montre recevant successivement ses trois amants, trouvant à chaque fois des excuses pour expliquer la présence de l'amant précédent, ou alors essayant de le cacher, comme dans une mauvaise comédie.
Derrière la critique de Valérie, c'est pourtant la faiblesse des hommes que vise Balzac. Voilà deux hommes, le baron Hulot et Wenceslas, heureux en ménage, mariés à des femmes qui ont pour elles la beauté, la douceur, la patience et la vertu, et qui malgré tout sont irrésistiblement attirés par la petite bourgeoise faussement vertueuse et faussement douce, dont ils soupçonnent pourtant la fausseté. Balzac écrit à leur charge :
"La femme dédaigneuse, une femme dangereuse surtout, irrite la curiosité, comme les épices relèvent la bonne chère. Le mépris, si bien joué par Valérie, était d'ailleurs une nouveauté pour Venceslas, après trois ans de plaisirs faciles. Hortense fut la femme et Valérie fut la maîtresse. Beaucoup d'hommes veulent avoir ces deux éditions du même ouvrage, quoique ce soit une immense preuve d'infériorité chez un homme que de ne pas savoir faire de sa femme sa maîtresse. La variété dans ce genre est un signe d'impuissance. La constance sera toujours le génie de l'amour, l'indice d'une force immense, celle qui constitue le poète ! On doit avoir toutes les femmes dans la sienne, comme les poètes crottés du XVIIe siècle faisaient de leurs Manons des Iris et des Chloés !"